Le cheminement de la vie en conscience bien compris c'est-à-dire qui conduit à la fusion de l'Âme individuelle et de l'Esprit (comparable à l'Âme universelle) peut être définie avec ces mots de Saint-Paul, dans l'Epître aux Colossiens, au chapitre 2, versets 2 et 3. Ainsi, il faut que ces hommes « aient le cœur rempli de consolation, qu'ils soient unis dans la charité, et enrichis d'une pleine intelligence pour connaître le mystère de Dieu, savoir Christ, mystère dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science ».
Le cheminement en conscience concerne une double-intelligence dont ses composantes sont nécessairement complémentaires, articulées autour de l'amour (qu'on peut nommer l'intelligence du cœur) et l'intelligence au sens de pur intellect (1). Cet amour intégrera la consolation et la charité précédemment citées ainsi que la compassion et l'empathie. Une première précision concernant la consolation : le cœur consolé est le cœur du croyant qui, par sa foi, est consolé par Dieu et qui, de là, favorise la consolation des cœurs des personnes qu'il côtoie. Quant à l'intelligence au sens de pur intellect, elle est celle du mental guidé par l'intuition (2) pour alors être intéressé par la gnose, la Connaissance des choses de Dieu (qu'on peut encore appeler la Vérité métaphysique). La connaissance du Christ est évidemment l'émanation de cette double-intelligence à son paroxysme. Elle fut, bien entendu, sa manifestation humaine en Jésus. La sagesse évoquée plus haut peut être comparée à l'intelligence du cœur dans ses profondeurs. Quant à la science citée dans le précédent passage néotestamentaire, elle relève de cette gnose. Mais il n'y a pas de sagesse authentique sans science, comprenant la faculté du discernement et donc aussi celle de l'entendement. Quant à la science, au sens de connaissance authentique et métaphysique, elle ne peut pas ne pas être guidée par cette sagesse. Car les choses qu'elle renferme explique les fondements de la sagesse. On pourra s'intéresser à ce qui, au Moyen-âge, était appelée sapiance, cette science en tant que connaissance qui nourrit la sagesse et le beau, favorisant le discernement. D'où une deuxième précision concernant l'idée de consolation : le Consolateur est l'un des noms de l'Esprit-Saint (d'où Jean 14:26) qui est l'intellect de Dieu (1) fournissant cette précédente science et donc la Connaissance des choses de Dieu. On pourrait donc dire que la consolation inclut la « pleine connaissance » ou inversement, toutes deux évoquées par Saint-Paul dans le passage cité au début de cet article.
Retour sur l'amour, de beauté et de ceux qui vouent leur vie à la gnose (les gnostiques), je cite ce texte d'Ibn'Arabi dans son Traité de l'Amour : « Les gnostiques ('ârifûn), eux, n’entendent ni poème, ni allégorie, ni panégyriques, ni propos galants, sans que Dieu se présente à travers le voile des formes. Or, la cause de tout cela est la jalousie (ghayra) de Dieu qui n'accepte pas qu'un autre que Lui soit aimé. Certes, l'amour a pour cause la beauté (jamâl) qui appartient à Dieu et qui est aimable par essence. Car « Dieu est beau (jamîl) et aime la Beauté ». C'est pourquoi Il s'aime Soi-même. »
Celui qui aime la Beauté divine sait aimer tout court. Il est, par ailleurs, attiré par la Vérité (en même temps que c'est la Vérité elle-même qui l'attire). Au niveau de Dieu, le Connaissant, le Connu, l'Amant et l'Aimé sont Un. Et c'est lorsque ces qualités divines deviennent Une en l'homme que l'homme ascensionne. Il lui reste alors la contemplation.
Ibn'Arabi écrit : « Celui qui s’oriente en fonction d’un mobile en contemplant l’immensité de son Existenciateur [une des désignations de Dieu dans l'islam] vivifie son cœur, entend Son Commandement. (De la mort à la résurrection)
Le même auteur nous dit aussi « de ne pas désirer l’élévation sur la terre » (Paroles en or). L'authentique royaume est bien le royaume de Dieu, nous enseigne Jésus-Christ, dont le chemin se situe dans notre cœur, notre authentique trésor, toujours selon le Christ (3), le trésor des « trésors de la sagesse et de la science » (pour reprendre une expression du précédent passage de l'Epître aux Colossiens), royaume incluant aussi « la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit » (Romains 14:17 LSG) (4)
« [...] et si Dieu t’élève, ne demande à Dieu que d’être en toi-même un homme humble, modeste et recueilli. Mais tu n’obtiens cela que si tu arrives à contempler Dieu, car le but des créatures et des grands, c’est d’atteindre la station spirituelle de la contemplation. En effet c’est cela l’existence recherchée. (Paroles en or, Ibn'Arabi)
Je termine avec ce passage néotestamentaire : « Et ce que je demande dans mes prières, c’est que votre amour augmente de plus en plus en connaissance et en pleine intelligence pour le discernement des choses les meilleures, afin que vous soyez purs et irréprochables pour le jour de Christ, remplis du fruit de justice qui est par Jésus-Christ, à la gloire et à la louange de Dieu. » (Philippiens 1:9-11 NEG) Antoine-Jean Céleste
--------------------------------------
(1) Dans le Livre des Haltes, Abd el-Kader explique que ce qui est appelée en arabe la première détermination de Dieu ou l'Essence revêtue de cette première détermination est nommée entre autres l'Intellect premier. Il écrit alors que « la Tradition rapport à ce sujet : La première chose que Dieu créa est l'Intellect ».
(2) Lire L'intuition au cœur de l'alignement, dans l’Évangile apocryphe de Marie-Madeleine
(3) « Mon royaume n'est pas de ce monde. » (Jean 18:36 LSG)
« […] Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira point: Il est ici, ou: Il est là. Car voici, le royaume de Dieu est au milieu de vous. » (Luc 17:20-21 LSG)
« […] là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » (Matthieu 6:21 LSG)
(4) Voici un hadith partagé dans le livre appelé La production des cercles d'Ibn'Arabi : « Dieu dit « J’étais un Trésor caché ; Je n’étais pas connu. Or, J’ai aimé être connu. Je créai les créatures afin que Je Me fasse connaître à elles. Alors elles Me connurent ». »